Nizar Qabbani
Je
suis un terroriste
On
nous accuse de terrorisme
quand nous défendons la rose et la
femme,
la poésie aux vers si puissants et
le bleu du ciel.
Cette « autorité » avec
rien dedans :
pas d'eau, pas d'air,
pas une tente, pas un chameau,
pas même de noir café arabica
!!!
On
nous accuse de terrorisme
quand nous refusons de mourir
sous les bulldozers d'Israël
qui déchirent notre terre et notre
histoire,
notre Bible et notre Coran,
qui déchirent les tombes de nos prophètes.
Mais quand tel est notre péché,
qu'il est noble, ce terrorisme !
On
nous accuse de terrorisme
quand nous refusons d'être effacés
de la main du Mogol, des Juifs et des Barbares,
quand nous jetons des pierres
dans les vitres du Conseil de sécurité
après que le César des Césars
s'en est emparé.
On
nous accuse de terrorisme
quand nous refusons de discuter avec le
loup
et de serrer la main de la grande putain.
Amrika,
face aux cultures des peuples,
tu n'as pas de culture.
Face aux civilisations des civilisés,
tu n'as pas de civilisation.
Amrika au si puissant édifice,
tu n'as même pas de murs !
On
nous accuse de terrorisme
quand nous refusons cette époque
où Amrika a mis sa folie,
sa richesse, sa puissance,
au service d'Israël.
On
nous accuse de terrorisme
quand nous jetons une rose
sur Jerusalem,
sur al-Khalil,
sur Gaza,
sur an-Nasirah,
ou quand nous apportons pain et eau
à Troie assiégée.
On
nous accuse de terrorisme
pour avoir élevé la voix
contre les régionalistes parmi nos
dirigeants.
Tous ont changé d'allure :
de partisans de l'union
ils sont devenus hommes d'affaires.
Quand
nous commettions cet atroce délit
de culture,
quand nous nous révoltions contre
les ordres du grand calife
et contre le siège du califat,
quand nous apprenions la jurisprudence et
la politique,
quand nous rappelions Dieu
et que nous lisions la sourate al-Fatah
[le chapitre qui parle précisément
de la conquête],
quand nous écoutions le sermon du
vendredi,
c'est alors que nous étions bien
imprégnés
de l'art du terrorisme !
Nous
sommes accusés de terrorisme
quand nous défendons la terre
et l'honneur de la poussière qui
la couvre,
quand nous nous révoltons contre
le viol des peuples
et du nôtre en particulier,
quand nous défendons les derniers
palmiers de notre désert,
les dernières étoiles de notre
ciel,
les dernières syllabes de nos noms,
les dernières gouttes de lait du
sein de nos mères.
Mais quand tel est notre péché,
qu'il est noble, ce terrorisme !
Je
suis avec le terrorisme
quand il peut me sauver
de ces immigrés de Russie,
de Roumanie, de Hongrie, de Pologne.
Ils se sont installés en Palestine,
ont posé les pieds sur nos épaules
pour nous voler les minarets d'al-Quds
et la porte d'Aqsa,
pour voler les arabesques et les coupoles.
Je
suis avec le terrorisme
quand il veut libérer le Messie,
Jésus de Nazareth,
et la vierge, Meriam Betula, et la cité
sainte
des ambassadeurs de la mort et de la désolation.
Naguère
encore,
la rue nationaliste était ardente
comme un cheval sauvage,
les rivières abondaient de l'esprit
de la jeunesse.
Mais
après Oslo,
nous n'avions plus de dents :
aujourd'hui, nous sommes un peuple aveugle
et perdu.
On
nous accuse de terrorisme
quand nous défendons de toutes nos
forces
notre héritage poétique,
le rempart de notre nation,
notre civilisation rose,
la culture des flûtes de nos montagnes
et les miroirs reflétant des yeux
noircis.
On
nous accuse de terrorisme
quand nous défendons nos écrits,
l'azur de notre mer
et l'arôme de l'encre, .
quand nous défendons la liberté
du mot
et la sainteté des livres.
Je
suis avec le terrorisme
quand il est capable de libérer un
peuple
des tyrans et de la tyrannie,
quand il est capable de sauver l'homme
de la cruauté même de l'homme,
de rendre les citronniers, les oliviers
et les oiseaux au Sud du Liban,
de rendre son sourire au Golan.
Je
suis avec le terrorisme
s'il peut me délivrer
du César de la Judée
et du César de Rome.
Je
suis avec le terrorisme
aussi longtemps que ce nouvel ordre mondial
sera partagé en parts égales
entre Amrika et Israël.
Je
suis avec le terrorisme
avec toute ma poésie,
avec tous mes mots
et avec mes dents
aussi longtemps que ce nouveau monde
sera aux mains d'un boucher.
Je
suis avec le terrorisme
si le sénat américain
applique ses jugements, ses décrets,
ses récompenses, ses châtiments.
Je
suis avec l'irhab (le terrorisme)
aussi longtemps que ce nouvel ordre mondial
détestera l'odeur des Arabes.
Je
suis avec le terrorisme
aussi longtemps que le nouvel ordre mondial
voudra massacrer ma progéniture
et la donner en pâture aux chiens.
Pour
tout ceci,
je le crie de toute ma voix :
Je suis avec le terrorisme
je suis avec le terrorisme
je suis avec le terrorisme !!!
Nizar Qabbani
Poème
de Nizar Qabbani (1923-1998).
L'auteur était un syrien, poète
et diplomate.
"I am with terrorism", publié
le 15 avril 1997 dans Al-Hayat, est un de
ses derniers poèmes.

Lumière©2004
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